Ce récit de Sylvain TESSON, géographe, écrivain, voyageur, explorateur....publié en 2006 relate son voyage à vélo au côté d'un pipeline, de l'Aral à la mer Caspienne, traversant notamment l'Azerbaïdjan, la Géorgie, la Turquie...
Il nous livre ses impressions, mais aussi ses opinions sur la civilisation, l'énergie, les hommes.
En voici quelques citations.
« Dans
sa boulimie de production, la modernité crée des produits sans
avenir. Le capitalisme c’est la réduction de l’intervalle entre
le moment où l’on achète un objet et où on le remplace.»
p. 13
« -
La chaleur est horrible,
dis-je.
-
L’année dernière il ne faisait pas si chaud…
-
C’est le réchauffement climatique ?
-
Non, mais l’année dernière on avait un ventilateur qui
marchait. » p. 43
« La
masse de l’étoile est un réservoir d’énergie. Dès sa
création, chaque corps stellaire contient en lui sa propre
puissance. Il la transformera tout au long de sa vie en chaleur et
lumière. Les hommes comme les étoiles reçoivent à leur naissance
un gisement intérieur. Ils puiseront dedans et convertiront leurs
ressources en actes, en paroles, en pensée, en œuvre d’art. Et
comme les étoiles, certains hommes se révéleront plus brillants
que d’autres. Et comme les étoiles, le souvenir de certains hommes
nous parviendra bien après leur mort. En revanche, d’autres que
l’on trouvait flamboyants seront déjà affreusement morts en
dedans d’eux-mêmes. » p.44
A
propos du pétrole :
« ...cette pâte de vivant mise au service du vivant nous
apporte la mort. Le brut pollue la terre, les hommes se tuent pour
lui et les cormorans meurent sur les grèves engluées » p. 60
En
buvant une vodka avec un kazakhe : « Même le grand-père,
pieux hadj à barbe blanche, lève son verre.
-
A toi, Français !
-Mais
Allah ? Dis-je.
-
Il déteste l’alcool, il ferme les yeux quand on en boit.
Dans
le laboratoire des steppes de l’Asie centrale, les Russes ont
réussi à dissoudre l’Islam dans la vodka. » p. 72
« Les
souvenirs ne servent à rien parce qu’on pense toujours que les
choses s’améliorent en son absence et on a plus volontiers recours
à l’espérance que confiance en l’expérience » p. 141
« L’Islam
a institué un formidable système de prestation, mieux rodé que
n’importe quelle entreprise d’exploitation capitalistique. Une
moitié du genre humain a mis l’autre à son service. Les hommes
ont institué une sorte d’esclavage, les services du sexe en plus.
Que le dogme coranique vacille un jour sous les coups de bélier de
la marche du temps est probable. Que les hommes abandonnent le
privilège de disposer d’un prolétariat féminin corvéable à
merci relève de l’utopie. » p . 185
« Dans
les villages, les femmes voûtées se cachent sous la bure. Les
fillettes aux seins bourgeonnants, elles, ont le droit d’aller sans
voile….Le voile est l’étrange aveu d’une panique devant les
manifestations de la beauté. Exige-t-on du paon qu’il se rogne les
ailes ? » p. 185
«
Le dévelo
ppement durable est le baume appliqué sur leur mauvaise
conscience par des Occidentaux désireux de continuer à jouir sans
que ne retombe vraiment la fièvre du monde. Le terme cache le vœu
d’ajuster mieux les rênes pour maintenir la course de l’humanité
le plus longtemps possible. Pas la moindre intention d’en arrêter
l’emballement. « Jouissons sans entrave » clamaient les
slogans de Mai 68. Jouissons plus intelligemment pour jouir plus
longtemps, répondent en écho les chantres de la durabilité. Le
principe ne remet pas en cause la marche du monde, mais propose de
légers aménagements de la fuite en avant, quelques infléchissements
comme les touches prudentes d’un pinceau pointilliste. L’essentiel
de serait pas de changer de cap, mais de ralentir le rythme pour
permettre à l’orgie de se poursuivre
durablement. »
p. 192